Les 17 et 18 mars dernier, se déroulait le congrès national des SCOP à Rennes. Quand on évoque les SCOP, on pense aussi aux SCIC. Mais on trouve aussi les coopératives de consommation, de commerçants, d’habitation, de crédits, les coopératives agricoles, etc.
Aujourd’hui, ce mouvement coopératif fait vivre 70 000 personnes en France. De plus en plus, on entend parler de ce modèle par des créations ou des transformations d’entreprises déjà existantes. Le président de la CG Scop, Jacques Landriot, parle de l’objectif de 100 000 emplois d’ici 4 ans. Cela bouge !
Alors concrètement, que se cache t’il derrière ces deux termes ? Dans une SCOP, ou Société Coopérative et Participative, le capital appartient en majorité aux salarié·e·s-associé·e·s, avec une répartition équitable de la richesse créée. L’outil de travail appartient à tous. Une SCOP peut avoir une taille imposante comme le Crédit Coopératif ou rassembler une petite équipe comme celle de nos 11 boulanger·e·s du Pain des Cairns.
Dans une SCIC, Société coopérative d’intérêt collectif, le capital est ouvert aux salarié·e·s, bénévoles, usagers, collectivités publiques, entreprises, associations, particuliers, etc. On peut trouver des grandes sociétés comme Enercoop, Habitat et Urbanisme, Manger Bio Isère, mais aussi des petites équipes comme Le Magasin Général, épicerie d’un village de Chartreuse.
En résumé, vous l’avez compris entre les lignes, l’avantage principal de ce système est qu’au sein d’une SCOP ou d’une SCIC, tous les membres sont égaux et responsables, et gèrent leur société de manière démocratique.
Un peu d’histoire ?
Pour commencer, regardons du côté de l’étymologie : Coopérative vient du latin cum, avec, et operare, faire quelque chose, agir. Il y a donc bien le principe de coopération sous-jacent dans une coopérative. Le pouvoir y est exercé par chacun·e en vue d’un intérêt général, ce que nous appelons au Pain des Cairns notre « Raison d’être ». On vous la donne ? Attention, elle est ambitieuse :
« Nous coopérons, pour nous épanouir dans une boulangerie humble, solidaire, innovante, qui prend soin de sa relation aux client·e·s et qui est ouverte sur le monde. »
Ce qui peut être déroutant est que l’objectif économique des coopératives n’est pas la recherche du profit, mais la satisfaction des aspirations et des besoins économiques, sociaux et culturels de ses membres. Révolutionnaire, non ?
Alors d’où vient ce mouvement ? Bien avant la Révolution française en réalité, les prémices seraient le rapprochement des fruitières dans le Jura dès le XIIIe siècle. Mais il débute véritablement au début du XIXe siècle. De manière clandestine pour commencer, avec le regroupement d’ouvriers pour refuser la subordination économique et sociale (la loi Le Chapelier de 1791 interdit alors toute coalition). Les ouvriers cherchaient à défendre leur droit au travail et leur autonomie, et de cet idéal naîtra la première coopérative en 1834, avec l’Association des Bijoutiers en Doré.
En 1835, Michel-Marie Derrion créé la première épicerie coopérative à Lyon. Les coopérateurs ne disent pas aux capitalistes « nous allons prendre vos capitaux », mais plutôt « gardez-les, nous en ferons d’autres qui nous dispenserons de recourir aux vôtres. » L’objectif initié par Derrion est très clair : mettre fin au travail pour le compte d’un maître, et permettre un droit de propriété réel.
Avec la crise économique, voilà que le mouvement flanche un peu, mais il tient le coup et en 1849, une coopérative de consommation se créé sous le nom des « Travailleurs unis » : elle compte sept épiceries, des boulangeries, deux magasins à charbon, un entrepôt de vin, une pâtisserie avec fabrique de chocolat. Et ce n’est pas tout ! La totalité des bénéfices est affectée à des œuvres d’éducation et de solidarité : elle ouvre deux écoles primaires et une caisse des invalides du travail. Malheureusement, le coup d’Etat de 1851 réduira à néant ce premier élan.
En 1864, l’Etat met enfin un terme à l’interdiction des coalitions, et permet un renouveau de réflexion autour des systèmes coopératifs. Charles Gide (école de Nîmes) en est le chef de file. Fondée sur le principe « un coopérateur, une voix », l’association ouvrière ou commerciale s’oppose donc aux règles de l’entreprise traditionnelle qui distribue le pouvoir proportionnellement aux capitaux investis.
La reconnaissance des coopératives se fait par la loi de 1867 sur les sociétés commerciales. En 1884, la loi Waldeck-Rousseau protège la liberté syndicale et une charte de 1898 consacre les mutuelles. Puis arrive 1901 et la loi sur les associations à but non lucratif. Bref, c’est à partir de cette époque que les coopératives prennent leur essor, jusqu’à la loi du 19 juillet 1978 qui constitue le pilier essentiel du statut SCOP.
Un état d’esprit fort
En 1997, le Mouvement SCOP engage une réflexion sur de nouvelles formes de coopératives. Cette démarche aboutit à la création du statut SCIC. Les SCIC permettent de répondre à des besoins d’utilité sociale non pourvus sur un territoire par les formes classiques d’entreprises, en associant salariés, usagers, personnes morales et collectivités locales. Avez-vous entendu parler de Railcoop, une SCIC essayant de remettre en activité la ligne de train Bordeaux-Lyon (fermée en 2014), qui permettrait un désenclavement des régions traversées ? Avez-vous suivi le projet de la Coopérative des Musiques Actuelles Grenobloises à la Belle Electrique, porté par l’association MixLab et la ville de Grenoble ?
On parle, à travers ce mouvement des SCIC, de citoyenneté économique ; un terme sur lequel Benoît Hamon et son équipe travaillent actuellement. De ses nombreux entretiens et études, il ressort quatre dimensions principales :
– Le pouvoir, pour chacun, de s’exprimer.
– La redistribution des richesses.
– Le bien-être au travail.
– La responsabilité sociétale de l’entreprise.
« Voici les piliers communs autour desquels nous entendons construire un modèle de citoyenneté économique pour toute entreprise désireuse d’impliquer davantage les travailleur·euse·s et souhaitant répondre aux grands enjeux sociétaux » conclut-il.
Le Pain des Cairns au sein du mouvement
Lorsque Cédric créé Le Pain des Cairns en 2014, il n’a pas encore l’idée de la SCOP, mais l’envie d’un partage des responsabilités. C’est d’abord par la gouvernance partagée qu’il insuffle un état d’esprit alternatif. Avec l’arrivée de Gilles, la boulangerie prend clairement la direction de ce partage de la gouvernance.
Très vite, avec l’agrandissement de l’équipe, cette envie se transforme en véritable besoin pour Cédric : la relation patron-salarié·e lui pèse, il ne peut plus s’investir autant qu’au départ dans le bon déroulement de l’entreprise, il veut aussi donner l’opportunité à tous·tes de devenir propriétaires, et pérenniser le projet même sans lui. Alors naturellement, le statut SCOP prend forme dans sa tête ; il a tous les avantages pour l’entreprise, et a du sens au niveau sociétal. Nous sommes en 2016, l’équipe du Pain des Cairns compte 7 personnes, qui cogiteront durant de nombreux mois pour enfin aboutir au fameux statut en 2018. Pour Cédric, c’est la libération face à une grosse pression, c’est aussi la fierté d’avoir mené la boulangerie vers ce qu’elle est aujourd’hui.
Depuis sa transformation en SCOP, Le Pain des Cairns n’a versé aucun dividende aux associé·e·s. La boulangerie souhaite que chaque salarié devienne associé·e, afin de prendre part aux décisions stratégiques, et non pas uniquement opérationnelles. Au sein de l’équipe, nous réfléchissons régulièrement tous ensemble, avec la même implication et les mêmes pouvoirs à des sujets très divers : actuellement par exemple, le congé menstruel et le congé aidant, des formations collectives à la Communication non violente et la fresque du climat, ou encore nos avancées pour trouver des terres afin de produire notre blé. Mais le cercle stratégique, celui des associé·e·s, tranche en dernier recours sur certaines décisions importantes à prendre.
Être associé·e n’est cependant pas obligatoire, et pour le devenir, quelques conditions sont requises : avoir un an et demi d’ancienneté, s’être formé à la gouvernance partagée, ainsi qu’avoir fait le stage « Bienvenue en SCOP » de l’URSCOP ou encore faire un apport de 5000 euros, et être validé·e lors de l’Assemblée Générale ordinaire. Notre équipe compte aujourd’hui 11 salarié·e·s dont 5 associé·e·s. Des CDI et des CDD, mais une motivation et un état d’esprit collectifs uniques. Nous avons tous·tes conscience de l’héritage précieux qui nous est donné. A nous de le faire perdurer, et d’embellir cette aventure SCOP qui va bien au-delà d’un statut !
Pour plus de renseignement sur le statut de scop, visualier la vidéo pédagogique des scoop :