2025 commence au Pain des Cairns avec un tas de projets fermentant dans les chambres de pousse, et surtout le désir intact, pour chacun.es d’entre nous, de faire du pain qui nous/vous ravit ! En cette année naissante, en ces 10 ans de création du Pain des Cairns, nous avons envie de nous dévoiler un peu plus. Une sorte de portrait d’équipe à travers nos visions personnelles du fournil… Attention attention, cadavre exquis en 14 questions !
Tom, au Pain des Cairns depuis 2015
Pour toi, quel a été le plus gros changement depuis que tu es au fournil ?
Je crois que le plus gros changement a été le virage pris entre 2019 et 2020, lié pour moi à trois événements. A ce moment là, nous avons un gros questionnement sur la gouvernance partagée qui mène à un conflit important entre les principaux acteurs de la boulangerie : Nicolas, Grégoire, Cédric et Gilles. L’arrivée de Pierre a donné une nouvelle forme à l’équipe, qui a pris de l’ampleur après le départ de Nicolas, Grégoire puis Cédric dans la foulée. Pierre a apporté le cadre et les outils pour que les règles de gouvernance soient respectées sans être oppressives. Pour moi, il a su leader la croissance de l’entreprise avec un paquet d’optimisations, à la fois en production et en gestion. C’est à cette époque que, pour moi, il y a eu un changement de mentalité et de vision du travail. En à peine un an.
Mahamé, au Pain des Cairns depuis 2017
Pour toi, le Pain des Cairns, ça représente quoi ?
Je suis loin de ma famille, elle me manque. Quand je retourne au Mali pour la voir, j’aimerais rester plus. Ce n’est pas facile de revenir. Mais quand je reviens, je me sens bien à la boulangerie. La boulangerie, elle m’aide dans ma vie. Ici, j’ai eu un bon accueil, c’est pour ça que je suis resté en France. Gilles m’a donné beaucoup de conseils, il m’a beaucoup encouragé. Myriam et Pierre, ils m’ont aidé pour passer le CAP, et Mariette m’a donné des cours de français. Maintenant, ça fait 8 ans que je suis ici, et je ne me suis jamais embrouillé avec quelqu’un, on ne m’a jamais engueulé. On me fait confiance. On a tout le matériel, tout est complet, c’est propre. C’est un bon endroit pour travailler même si c’est fatigant. Je ne mange pas les pains de la boulangerie, je les ai tous goûtés mais je préfère les baguettes ! Je ne suis pas habitué au levain.
Au Pain des Cairns, c’est une grande famille. On est bien ensemble, on est joyeux. C’est un bon collectif. Quand quelqu’un est malade on le remplace. J’aime bien être au magasin, on peut parler avec les gens. Parfois certains sont malpolis, et j’ai de la colère, mais on ne change pas les gens. Un jour, une dame n’a pas voulu que je la serve. Je suis allé pleurer derrière. Et Cédric a refusé de la servir parce qu’elle avait été raciste avec moi. On est solidaire. Dans l’équipe, il y a la motivation à 100%. Tout le monde est ultra motivé ! Par exemple, pendant les vacances ou les jours de repos, il y en a qui viennent faire des travaux ! Moi quand je suis en vacances je me repose ! Je n’ai pas de rôle et je n’en veux pas, parce que j’aime faire le pain et je suis à 100% dans la production. Mais je trouve bien qu’il y ait des rôles dans l’équipe, que tout le monde soit à fond pour faire marcher la boulangerie. Je suis heureux dans ma tête ici.
Marine, au Pain des Cairns depuis 2017
Vie de famille et boulangerie, compatible au Pain des Cairns ?
La vie de famille au Pain des Cairns, et non à la boulangerie au sens large, est carrément compatible ! Les horaires en journée et les petites semaines (merci le congé parental !) me permettent de savourer les premières années de vie si précieuses de mes enfants, ma priorité du moment. Je fais complètement confiance à la SCOP et à la complémentarité de mes collègues pour mener à bien les projets du moment. Ça n’a pas été facile quelques fois de lâcher mais je sais que la roue tournera et qu’ils pourront à nouveau compter davantage sur moi.
Ça peut arriver que j’aie à m’absenter pour enfant malade au dernier moment, c’est assez inconfortable par rapport à l’équipe, car il suffit d’un boulanger-vendeur en moins et la journée est hyper tendue pour les autres. Mais en 2022, on a mis en place un système d’astreinte. A l’origine, ce système est lié à la création du congé menstruel. Pour pouvoir le mettre en œuvre, il fallait que l’on puisse compter sur un·e volontaire en jour OFF pour remplacer la personne absente au dernier moment. Avec ce système d’astreinte, je me sens beaucoup moins stressée si je devais être empêchée d’aller au boulot : je sais que quelqu’un pourra me remplacer au pied levé et assurer mon poste sans bouleverser la production. Certaines fois, je me demande combien d’années je tiendrai avec ce métier très physique. Et puis je me rassure quand je vois que mes collègues peuvent m’épauler dans les tâches physiques quand je suis particulièrement fatiguée. Il y a beaucoup d’entre aide dans nos journées. Pour l’instant, j’ai des horaires sur mesure qui me permettent de ne pas me lever trop tôt, et j’espère que les nuits de mon bébé s’amélioreront d’ici peu pour pouvoir être à nouveau en forme !
Myriam, au Pain des Cairns depuis 2019
L’engagement au Pain des Cairns, c’est quoi pour toi ?
En commençant à travailler au Pain des Cairns, j’ai tout de suite eu l’impression d’être au bon endroit, de me sentir bien dans ce lieu, d’être accueillie et d’avoir presque trouvé une petite famille. Il y a les odeurs et les couleurs qui sont si particuliers, il faut partir quelques semaines pour qu’elles se rappellent à moi et que je les remarque de nouveau. Il y a les collègues, qui comme dans une grosse coloc, sont là, te soutiennent, te donnent de l’énergie, te questionnent, te mettent en rage aussi parfois, l’altérité n’est pas toujours simple, comme la vie. On se ressemble, mais en fait on est toutes et tous si différents, comme deux humains peuvent l’être ! Pour moi, c’est beau de toucher la pâte et de faire un produit simple. J’ai l’impression que la vraie sagesse serait de faire bien les petites choses de la vie, comme du bon pain, chaque jour, inlassablement, en étant heureuse comme au premier jour.
En tant que membre de la joyeuse fourmilière, je me sens investie d’une responsabilité quant à la boulangerie. Il faut que le projet continue et soit pérenne, que les personnes y travaillant se sentent bien et que le bon pain coule à flot. J’ai « hérité » d’un projet et mon engagement est total pour rester fidèle aux valeurs qui m’ont fait rejoindre l’aventure. En s’engageant longtemps, on devient toustes associé.es. Le statut n’est pas si facile : être salariée ET associée, c’est être responsable de l’entreprise mais aussi être responsable de ne pas s’auto-exploiter. De fourmi on peut virer chèvre ! Au quotidien, je me sens engagée quand je suis attentivement les heures ou les salaires des collègues dans mon rôle gestion sociale, il y a une forte responsabilité morale et légale vis-à-vis du droit du travail, ou quand je mets toute mon énergie dans une organisation et facilitation de réunion collective, où je me sens très exposée et en même temps au service du groupe, du mieux que je peux. Il y a bien sur des moments où je me sens moins engagée car moins de temps et d’énergie mais j’essaye de soutenir des initiatives du mieux que je peux, sans jamais être indifférente au travail réalisé mais sans non plus me mêler de tout !
Victor, au Pain des cairns depuis 2020
L’horizontalité au travail, ça se passe comment ?
Travailler dans une SCOP sans patron, c’est un peu comme produire du pain au levain : il faut de l’attention, de la rigueur et une organisation collective solide pour que ça prenne et que ça dure. Car oui, 10 ans d’existence ce n’est pas rien ! L’horizontalité, pour moi, c’est la liberté d’avoir une voix, de pouvoir peser dans les décisions, qu’il s’agisse de retravailler la recette d’un pain (décision opérationnel) ou de définir les valeurs et objectifs de l’entreprise (cercle stratégique). C’est aussi une communication directe et sincère, où l’on se dit les choses avec l’aide de plusieurs outils. On se sent écouté dans cette entreprise. Ce mode de fonctionnement donne envie de s’investir, car on sait que chacun ici est à la fois vendeur, plombier, gestionnaire, électricien, comptable, et boulanger à ses heures perdues.
Mais soyons honnêtes : 10 ans, c’est aussi 10 ans à jongler avec des imperfections collectives. Les décisions stratégiques ? Aussi lente qu’une pâte avec un levain pH 5.0. Les responsabilités ? Elles pèsent parfois plus lourd sur certains que sur d’autres. En effet, tout le monde n’a pas la même notion du mot “collectif”. Pourtant, après ces années, l’horizontalité est toujours là, comme ce bon vieux levain de seigle : imprévisible, exigeant, mais plutôt bien vivant. Et quand je vois ce que nous avons pétri ensemble, c’est quand même plutôt très chouette d’en être arrivé là. Longue vie au bac à sable autogéré de la boulangerie !
Hugo, au Pain des Cairns depuis 2020
Le travail d’équipe au Pain des cairns, c’est quoi pour toi ?
J’aime l’idée que mes compétences, que ma dépense physique, que ma charge mentale servent le commun. Je viens bien évidemment y trouver des satisfactions personnelles comme une certaine forme de musculation, un rapport social valorisant ainsi qu’une reconnaissance de ma compétence dans la transformation d’une farine en un produit noble qu’est le pain. Je m’y retrouve également dans mon envie d’ordre, de fluidité, d’échange d’informations.
Bien sûr, travailler avec une dizaine d’autres boulangères et boulangers demande une adaptation constante aux autres rythmes de chacun.e. Chacun.e a sa vision du fournil, chacun.e ses exigences, chacun.e sa manière de vivre le collectif. Il faut alors chaque jour reprendre contact, trouver ses marques avec celleux présents puis accorder nos danses respectives pour mener à bien la journée.
J’ai toujours été dans des boulangeries où le travail quotidien s’arrêtait quand tout était fini. J’ai donc développé cette marche en avant, cette envie d’anticipation pour laisser le reste de l’équipe avec un planning bien tenu et prêt pour les prochaines étapes. Quelle satisfaction de savoir que mes envies personnelles puissent être au service des autres ! Ma participation à la gouvernance partagée et la confiance que je porte à mes collègues nous permet de faire vivre notre environnement de travail de façon si riche.
Mariette, au Pain des Cairns depuis 2020
Quelle énergie trouves-tu ici ?
Dans ce fournil, pour moi, il y a une énergie extra–ordinaire ! Quand je suis arrivée, je découvrais un monde qui m’était totalement inconnu, celui de l’horizontalité, de la confiance portée les uns vers les autres autour d’un même projet. L’intelligence collective ! C’était ultra déroutant et ça l’est toujours. Parfois j’ai l’impression qu’on est embarqué sur un bateau fou en plein océan, de nuit, dans un vent furieux qui nous pousse et que personne ne contrôle rien. Mais le bateau tient bon et avance même très bien ! Je suis épatée de voir que la liberté que l’on se donne tous les jours est source d’une énergie étonnante qui se renouvelle sans cesse. C’est probablement la force de notre collectif : l’envie commune de faire du bon pain pour tous, et d’expérimenter le bien-être au travail ensemble. L’énergie, elle nait de ces valeurs, j’en suis persuadée. On vient tou×tes d’horizons différents ; certain×es ont fait de longues études, d’autres non, certain.es ont eu plusieurs expériences professionnelles, d’autres sont en apprentissage, certain×es se cherchent, d’autres se sont un peu trouvé×es. Et ce que l’on veut c’est juste partager, agir ensemble, être des maillons d’un monde nouveau et plus juste. C’est ce que je ressens.
Cela n’empêche par les zones de frictions, les ras le bol, la fatigue. Ce serait trop facile si ce genre d’expérience coulait de source dans une harmonie de tous les instants. On a nos égos, nos blessures, nos limites, nos coups de moins bien, parfois notre trop plein d’énergie qui ne s’accorde pas au reste de l’équipe, question de timing ou de communication. J’avoue : il m’arrive de rêver me retrouver seule dans une cabane pour écrire des bouquins ! Bosser ici ensemble demande de l’énergie et beaucoup d’honnêteté envers soi-même et les autres. Mais ça en apporte aussi tellement. Quand je pense énergie, je pense aussi à la pâte qui naît sous mes mains, à laquelle je parle en secret, qui fermente tranquillement puis sort du four dorée et levée ; elle a tenu promesse sans faire d’histoire. En bref ? Ici on reçoit, on partage, on (se) teste, on se plante, on (se) construit ensemble. On vit !
Anouk, au Pain des Cairns depuis 2021
Le rapport à nos produits et nos producteurs, comment tu le vois ?
Je ressens beaucoup de respect vis-à-vis de nos producteurs, que ce soit les personnes qui nous approvisionnent en farine, en sel, en œufs, etc. Je me sens humble vis-à-vis de toute la difficulté que c’est d’être agriculteur. Au chaud près de mon four, je n’ai pas à me soucier des aléas climatiques qui se concentrent sur ces dernières années entre sécheresses, grandes pluies et tempêtes. Est-ce que la récolte sera bonne ? Est ce qu’elle sera suffisante et de bonne qualité ? Est-ce que la météo sera clémente ? … Je m’intéresse à ces informations mais ça ne génère pas de stress dans mon activité.
Et puis ces producteurs, je les connais. Cent fois vous avez dû nous entendre en vente répéter : Vous voulez un TTL (alias le très très local) avec la farine de Sylvain Betto à Lavars dans le Trèves ? Sylvain, nous le voyons plusieurs fois dans l’année, quand il vient nous livrer et que nous prenons le temps pour un café entre deux pétrissées. Et nous allons aussi le voir, avec nos petits vélos depuis Grenoble (ok… on avoue, on prend le train jusqu’à Clelles), on visite son exploitation, on monte au sommet des silos, il nous emmène dans les champs, on partage un repas. Il est intarissable et on rentre en comprenant que ce n’est pas juste de la farine de blé… c’est la farine de Sylvain Betto à Lavars.
Idem avec Guilherme qui a travaillé avec nous une petite année en tant que boulanger. Guilherme avait un rêve, c’était de devenir agriculteur et d’avoir son exploitation en grandes cultures. On a reçu sa première livraison de farine le mois dernier et ça à mis en joie toute l’équipe… !
Ambre, au Pain des Cairns depuis 2022
Qu’as-tu trouvé ici de complémentaire à la paysannerie boulangère que tu connais très bien ?
Ici, ça n’a rien à voir avec la paysannerie-boulangerie que je connais ! Je suis arrivée un peu comme une fleur ! Non, en vrai j’ai été happée par la dimension collective de ce projet ! C’est grand, c’est beau, ça bouge : c’est toujours en mouvement ! Un vrai laboratoire pour tester ces méthodes de gestion qui me font rêver. Au début, je n’étais pas sûre de rester très longtemps. Le dehors est central pour moi et les champs de blé m’appellent (et m’appelleront un jour prochain). Mais voilà, j’ai rencontré l’équipe, le mode de pensée et l’énergie et je suis encore là ! Une entreprise par et pour les salarié·es c’est oui, milles fois oui ! Je milite depuis longtemps pour des formes différentes d’organisation du travail. Montrer un exemple qui fonctionne et qui est toujours debout depuis 10 ans, c’est précieux. J’adore pouvoir dire aux gens : oui, nous ouvrons à 11h sans faire de baguettes et de croissants, oui nous sommes 13 personnes dont 9 associé·es, oui ÇA MARCHE ! Et oui, pour que ça marche avec toutes les complexités de l’humain, il faut se décentrer, prendre du recul sur soi et sur les autres. Cela passe par des transmissions, des formations, de nombreux échanges et plein de remises en question. Ici, personne n’est censé être indispensable : je trouve ça beau. C’est sûr que c’est un équilibre à trouver. Un équilibre fragile dépendant de l’humain. Et on se doit d’en prendre soin. Et s’il faut parler du pain, bien sûre que j’aime voir tous les membres du Pain des Cairns savoir quoi faire à quel moment. Il faut passer la tête vers 11h ; entre l’ouverture du magasin, le four, les tours de la pâte, la mise en moules, les pesées de farines… il y a une montagne de choses à faire ! Aucune tâche n’est attribuée à l’avance à une personne : nos journées se ressemblent mais sont toutes différentes. Moi qui ai tendance à vite me lasser des choses, c’est parfait. On est toustes garant·es de la production de pain, de la vente et de la santé de notre entreprise.
Étienne, au Pain des Cairns depuis 2022
La gouvernance partagée, comment la vis-tu au Pain des cairns ?
La gouvernance partagée, je la vis comme un super outil de prise de recul. Sur soi, sur le groupe, sur ce qu’on produit, dit, fait. J’ai le sentiment qu’à la boulangerie, ça permet de prendre en compte les besoins, envies, ressentis des BV, en incluant le plus de personnes possibles dans le processus de prise de décision : les bavard·es et celleux qui se taisent, les confiant·es et les moins à l’aise, les expérimenté·s et celleux qui arrivent tout juste. Toutes et tous ont droit à avoir un avis, et une place pour le donner. La gouvernance partagée permet aussi de se repositionner, prendre du recul par rapport à une situation et le ressenti qu’on a à son sujet ; Qu’est-ce que ça fait bouger en moi ? Est-ce mon égo qui parle ? Est-ce que, même si cette solution ne me convient pas totalement, elle peut être bonne pour le groupe et l’entreprise ? L’utilisation de la GP (Gouvernance Partagée) permet de prendre en main l’outil de travail aussi bien du point de vue opérationnel que stratégique, de se sentir partie prenante du projet. A travers les rôles on expérimente à la fois l’autonomie (et la responsabilité qui va avec) et la nécessité de faire confiance aux autres dans leur gestion de leurs redevabilités. Globalement, elle permet d’instaurer un rapport au travail plus sain, qui pousse à l’entraide, l’intercompréhension, la confiance, la bienveillance.
Gabrielle, au Pain des Cairns depuis 2023
Faire du pain ici, c’est travailler sur quel produit, avec quelle motivation ?
Faire du pain, c’est toujours la même chose et pourtant c’est jamais la même chose. Je crois que c’est ça qui est motivant pour moi. Travailler au Pain Des Cairns c’est être dans une mécanique bien huilée. L’ancienneté de la boulangerie (10 ans, on vous l’a dit ?) fait que tout a déjà bien été pensé en termes de rythme, enchaînement de la production, recettes… Ce cadre assez clair sur nos « process » est quelques choses d’hyper agréable pour moi. Je n’ai pas à tout inventer la recette du jour, cela me permet d’avoir toute mon attention dédiée à bien faire le produit. Ce fonctionnement, c’est aussi quelque chose qui me motive à imaginer d’autres recettes. Je pense que pour moi la créativité s’appuie sur une base claire, autour de laquelle je peux imaginer de nouvelles choses. Faire du pain ici, c’est donc osciller entre une recherche de justesse dans la réalisation des pains et en même temps avoir la tête remplie d’envies et d’idées nouvelles. Faire du pain au Pain Des Cairns, c’est travailler avec quelle motivation ? Une motivation énorme ! Travailler ici est hyper enrichissant dans ma pratique de boulangère, mais aussi dans ma vision du travail en général. Le Pain Des Cairns c’est du pain mais c’est aussi tout ce qu’il y a derrière : créer du collectif, réfléchir ensemble, se frotter aux visions de chacun×e, expérimenter la gouvernance partagée…
Célia, au Pain des Cairns depuis 2023
Être boulangère et avoir des rôles : quel chemin vers la responsabilité vis-tu ?
Quand j’ai postulé au Pain des Cairns, c’était pour apprendre à faire du pain de manière professionnelle. J’ai très vite compris que le cœur de notre métier, faire du pain, n’était en réalité qu’un des aspects de notre métier. Pour pouvoir faire et vendre ce pain, il y a tout un ensemble de boulanger×ères qui occupent ou non des rôles, qui interagissent entre eux, avec chacun×e leur vision des choses, leur sensibilité, leur expérience, etc. Et c’est cet ensemble qui fait « fonctionner la machine ». Nous avons besoin des autres pour que les connexions se fassent. Prendre un premier rôle m’a semblé évident. D’un point de vue perso, pour avoir le sentiment d’être plus impliquée dans le fonctionnement de notre structure. Pour aussi avoir la sensation de soulager certain×e×s collègues reprenant des rôles au moment où d’autres étaient en congés longs. Je trouve que prendre un rôle confère une certaine responsabilité, mais on sait que celui-ci a déjà circulé dans l’entreprise et qu’à tout moment on peut se référer à un collègue pour des conseils. La personne qui te laisse ce rôle est aussi celle qui va t’expliquer en détails comment le mener à bien, sans que tu sois jeté d’un coup dans le grand bain. Reprendre un rôle amène aussi une volonté d’amener une énergie nouvelle à ce-dernier, de le faire évoluer pour qu’il soit encore plus bénéfique pour la boîte. Même si mon rôle (repas) est un petit rôle en terme de nombre d’heures qui y sont consacrées, je pense que comme chaque rôle actuel, il a sa place. Pour moi, une équipe qui mange bien, sans que chaque personne n’ait à se soucier individuellement de ses repas du midi, est une équipe qui travaille bien. Pour la suite, il y a des rôles qui me font plus envie que d’autres. Avoir la responsabilité d’un rôle ne me fait pas plus peur que ça, du moment que j’ai le sentiment d’avoir les compétences pour le porter. En soi, être responsable d’un rôle c’est satisfaire aux redevabilités de ce rôle. Je sais que si je prends un nouveau rôle, je devrai répondre à de nouvelles redevabilités. Si je ne m’en sens pas capable, sûrement que quelqu’un d’autre oui. Il n’y a donc pas de pression particulière.
Thomas, au Pain des Cairns depuis 2023
Être apprenti au Pain des Cairns, ça se passe comment ?
Je suis en apprentissage depuis septembre, mais avant ça j’avais fait un mois de stage en seconde puis un mois en terminale, et j’ai travaillé tous les samedis de ma terminale au magasin. Quand je suis arrivé en septembre, je connaissais donc bien l’équipe et j’avais plus de hâte que d’appréhension. C’était un peu déroutant au début car je n’ai pas eu tout de suite de maître d’apprentissage avant qu’Hugo ne prenne ce rôle. C’était un peu le chaos pour moi : on me faisait beaucoup confiance, c’était en même temps cool car je me débrouillais et en même temps je ne me sentais pas forcément comme un vrai boulanger au même titre que les autres. Mon statut était un peu flou et j’étais un peu perdu avec ça. J’étais à la fois content de cette confiance et dérouté d’avoir autant de responsabilités direct. Aujourd’hui, je me sens très bien avec le fonctionnement de la boulangerie et de mon apprentissage. Les choses sont clean, le code du travail est respecté, je ne suis pas le gamin qui est exploité. Hugo est exigeant et me laisse aussi de la liberté avec des objectifs pour faire des produits hors production. J’ai des heures pour cela, et de toute façon je suis aussi motivé pour venir sur du temps libre pour faire des choses en plus. Par exemple, en décembre je serai à l’IMT (Institut des métiers et de techniques) mais je viendrai pour faire des panettones avec Victor. Il a une tonne de choses à m’apprendre. J’ai envie de progresser, de ne pas être un poids pour l’équipe. C’est vraiment agréable de bosser au Pain des Cairns, je me sens faire partie de l’équipe. C’est arrivé vite je trouve. Ici, il n’y a pas de patron, et je trouve que cette absence de hiérarchie marche. Je me pose plein de questions sur l’avenir, et quand je vois comment ça marche ici, ça me dégoute de devenir patron. J’ai plus envie de faire un truc à plusieurs. Ici, il y a des profils très différents, je peux apprendre plein de façons de faire, je comprends surtout pourquoi je fais comme ci ou comme ça. Je pense que j’ai posé un milliard de questions au début ! En travaillant ici, j’ai le sentiment de faire du vrai pain. Avec des problèmes de gens qui font du vrai pain. On s’adapte à la pâte, aux conditions, aux lots de farine par exemple. Et on sort toujours un truc super propre.
Anaïs, au Pain des Cairns depuis 2024
Qu’est ce qui t’a marquée quand tu es arrivée dans notre équipe ?
Quand je suis arrivée, je me suis dit « Waouh, je n’ai jamais été accueillie comme ça dans un boulot ! ». Avant d’arriver, j’avais déjà été en lien avec quatre personnes pour voir ce qu’il me fallait ! Une personne pour un accueil général, savoir ce dont j’avais besoin pour mes premiers jours et si j’avais des questions en amont, une autre pour mes vêtements, une autre au niveau du planning, et une dernière pour le côté administratif. J’ai eu le sentiment d’être vraiment attendue ! Et en arrivant, toute l’équipe a été hyper accueillante. Ici, on sait prendre soin du lien entre nous, ce qui était très inhabituel pour moi. J’ai bossé avant dans d’autres cadres de boulot, pourtant sympas, mais il n’y avait pas ce soin du lien entre nous. En arrivant, j’ai aussi été éblouie par la gestion des repas ! On a un vrai repas préparé, équilibré, que l’on mange ensemble sur le tour. Tu ressens que quelqu’un a pensé à toi et veut que nous soyons bien dans nos corps.
Notre métier est physique, mais ce que j’ai découvert ici, c’est qu’on n’est pas là pour se faire mal. Et contrairement à là où je bossais avant (seule femme dans une équipe d’hommes), j’ai ressenti qu’ici on recherche des solutions aux problèmes liés à l’ergonomie. C’est pour cela que je voulais aussi bosser dans une équipe mixte, et c’est ce que je trouve au Pain des Cairns : on prend soin de nous-même. Ici, je me sens tranquille de demander de l’aide pour porter une cuve pleine de pâte ou monter le tapis du four s’il est plein de moules hyper lourds. Avant, pour demander ce genre d’aide, c’était une vraie démarche ; les boulangers étaient sympas mais le contexte n’était pas favorisant.
Ce que je découvre et que j’aime aussi, c’est le côté salarié-associé et une gouvernance différente. J’adore faire du pain, je suis à l’aise en production, et je sais que j’ai plein d’énergie à mettre en plus dans mon boulot ; ici l’organisation du travail et de l’entreprise permet cela. Pour l’instant je n’ai pas de rôles, je prends mes marques, je m’imprègne de l’organisation. Mais je sais que cela va arriver, ça s’installe juste petit à petit.