En mai 2022, l’Espagne devenait le premier pays européen à proposer un avant-projet de loi sur le congé menstruel. Incroyable, au même moment, notre petite entreprise grenobloise du Pain des Cairns fermait une journée pour grande réunion de gouvernance partagée. Et devinez quoi ? Ce jour-là, le principal thème de réflexion concernait le congé menstruel ! Le sujet était proposé par Myriam, fer de lance féministe de notre petit univers (« La randonneuse », c’est elle par exemple !). Quelques semaines plus tôt, elle avait envoyé à toute l’équipe des liens d’émissions et d’articles parlant de ce fameux congé qui pointe son nez dans de plus en plus de pays et d’entreprises.
Quels sont les contours de ce congé ?
La plupart du temps, il correspond au droit de ne pas travailler un jour par mois, lorsqu’une personne souffre de douleurs invalidantes pendant ses menstruations. Dans certains pays, comme le Japon, l’Indonésie ou la Corée du Sud, ce droit existe mais le jour utilisé n’est pas rémunéré. De fait, il est donc très peu utilisé, d’autant plus que les femmes sont déjà moins payées que les hommes.
Autre part, ce congé est rémunéré et une organisation est mise en place en cas d’absence. Mais s’il existe dans de plus en plus d’endroits, les mentalités doivent encore évoluer, et cela va doucement. Pour une personne, prévenir au dernier moment (on n’anticipe pas toujours exactement le début des règles, ou si elles vont être douloureuses), « lâcher » son équipe de travail peut être source de culpabilité. Et dans une société largement façonnée par le sexe masculin, ce congé n’est pas forcément accepté naturellement par les équipes.
Pour une femme, c’est donc parfois une épreuve de s’affirmer, et d’assimiler qu’il n’y a pas de fatalité à souffrir.
Au Pain des Cairns, notre équipe comporte 5 boulangères et 6 boulangers. Le bel équilibre ! Ce qui nous intéresse, c’est de faire évoluer nos mentalités constamment, et par ricochet celles de la société. Alors avec ce congé menstruel, l’idée, pour nous, est qu’il doit exister pleinement. Car il nous semble qu’il représente un droit important. Mais comment faire concrètement ? Chaque jour, la production du pain est intense et fait que l’on a besoin de tous les boulanger⸱ère⸱s prévus au planning. Au petit matin (7h30, ne soyons pas fous), nous commençons la journée à trois : le premier au four, le second au gros pétrin pour la première fournée de pain de campagne, complet et graines, un dernier aux batteurs pour les pains spéciaux. Puis, à partir de 10 h, quand les tâches se multiplient, nous sommes rejoints progressivement par d’autres boulanger⸱ère⸱s. En milieu de journée, nous sommes jusqu’à 7, avant de redescendre la quantité de main d’œuvre à partir de 15h. Bref, l’organisation est parfaitement huilée, et personne n’est de trop.
Tom enfourne le pain complet.
Bien sûr, il nous arrive déjà de nous remplacer au dernier moment quand l’un de nous est souffrant ou a un empêchement de force majeure. Mais avec l’officialisation du congé menstruel, il nous faut trouver une réponse de fonctionnement pérenne. L’idée d’astreinte sur nos jours off émerge vite (chaque boulanger⸱ère a un jour de repos dans la semaine).
Astreinte sur la base du volontariat ? Astreinte valorisée ?
Nous avons une totale confiance les uns envers les autres, nous savons qu’il n’y aura pas d’abus, mais nous savons aussi qu’un cadre simple et efficace doit être mis en place. Au final, nous créons un groupe de travail (le rôle planning, le rôle gestion sociale et le rôle finance) pour avancer sur le concret de la mise en place afin de le mettre en route à la rentrée d’août 2022.
Et nous y voilà ! Fin août, le groupe de travail propose une phase test :
- Tu as le droit à un jour de congé payé par mois en cas de douleurs de règles ne te permettant pas de venir travailler dans de bonnes conditions.
- Un tableau d’astreinte est créé : un⸱e collègue s’est inscrit⸱e, sur ses jours off, pour être remplaçant⸱e « au cas où », sur la base du volontariat.
- Le jour J, tu peux l’appeler jusqu’à la fin de la matinée, selon ton horaire de travail.
- Il/elle a 1h30 pour enfourcher son vélo, sa trottinette, son train, sa caisse et courir au secours de l’équipe.